Ci-après un extrait d'une des dernières conférences données avant son départ à la retraite par Michel Jadot, l'ex-patron du service fédéral "emploi". Socialiste, l'homme est connu pour son franc-parler et son honnêteté intellectuelle. Accédant au poste envié de "top manager", il avait critiqué la réforme Copernic qui lui avait permis d'augmenter considérablement son revenu tout en faisant, selon lui, le même travail qu'avant ...
"Dans la période qui a suivi la chute du mur de Berlin, le ministère de l’Emploi a accueilli année par année des délégations de fonctionnaires en provenance des pays de l’Est qui venaient, à la demande de leurs gouvernements, s’enquérir des bienfaits de notre modèle social. A cette occasion, on leur donnait de longues explications sur le fonctionnement de notre marché du travail, sur les caractéristiques de l’organisation du dialogue social en Belgique ou encore sur les différents régimes de notre sécurité sociale. (...)
En tous cas, nous fonctionnaires, nous étions nombreux à penser qu’ils étaient tombés sous le charme des subtilités de nos constructions institutionnelles et qu’ils étaient désormais convaincus par la force de notre modèle social belge. La plupart de ces pays sont aujourd'hui des Etats membres de l'Union européenne. Nous en côtoyons maintenant les représentants dans les enceintes européennes, au Conseil et dans divers comités et groupes de travail. Pour dire les choses élégamment, on doit bien constater que ce ne sont pas aujourd'hui nos plus proches alliés quand la Belgique est amenée à définir des positions tranchées dans divers débats à travers lesquels s'échafaude le modèle social européen. (...)
Ce prodigieux héritage qu’on cultive comme le « modèle social belge » (…) peut-il toujours répondre aux défis qui sont ceux de notre société contemporaine ? Quand on se pose cette question et qu’on observe les hésitations plus que manifestes des représentants des nouveaux Etats membres à nous suivre dans nos combats, on ne peut qu’être amené à réfléchir."
Michel Jadot, Le Dialogue social en Belgique.
NDLR : nous soulignons les passages en "gras".
1) Pour avoir observé Mr Jadot durant les '90s et pu interagir publiquement avec lui (Congrès des économistes de langue française, etc.), j'avais alors pensé: intelligent, l'intéressé l'est. Finaud, sans aucun doute. Fin connaisseur des arcanes de l'administration, c'est une évidence. Sous son image d'homme posé, il reste toutefois armé d'un "schéma mental" analogue à celui d'affilié FGTB. Bref, il restera un de ces fidèles "piliers", serviteur d'un PS en mal de réforme.
2) Devant les demandes de fonctionnaires ex-communistes DDR, ou encore face à l'avenir d'une U.E. du travail en crise profonde, son profil en fait-il un "visionnaire", un guide éclairé? J'ai surtout remarqué son habile sens de l'esquive lorsqu'on confrontait l'homme à des hypothèses, des chiffres et projections qui devraient forcer à raisonner "autrement que sur des statistiques" (ces reflets d'un passé révolu).
3) Je lis: ...... divers débats à travers lesquels s'échafaude le modèle social européen. (...) ......
Remarquons que le "modèle social" belge, autant que ceux "multiples, européens", n'ont fait leurs bonnes preuves que pendant les Trente Glorieuses (1946-1975). Car depuis lors, çà fait surtout 30 années de tensions et problèmes récurrents v-à-v desquels aucun devin n'a éclairé nos dirigeants publics, ni calmé l'ardeur de nos protecteurs "forces du travail". En matière d'emploi (devenu l'enjeu N°1 partout en Europe), aucun dirigeant n'a déclenché une explosion de la demande de travail (en dehors de courtes périodes de croissance économique normale, alors sans guère d'intervention marquée du politique). En phases de dépression, nos gestionnaires de l'emploi ont alors surtout tâché de "colmater des brèches" par des dispositifs de transition, non durables. Pas de miracle, la recette est connue : une économie saine et un état d'esprit positif, c'est çà qui fait la dynamique du bien-être.
4) Existe-t-il une volonté d'en changer? Un voeu, certainement. Mais les schémas mentaux des latins Di Rupo & Co ne sont pas aisément comparables à ceux d'un ex-Chancellier Schroeder. Pas plus que l'esprit FGTB ne se compare à l'intelligence de certaines élites dans IG-Metall. Un net écart culturel. Des discours lénifiants, contre un sens du pragmatisme en Outre-Rhin.
5) Sous la législature du Premier J-L. DeHaene (durant les '90s.), le thème du "vieillissement" des populations n'était pas une variable considérée comme importante. Aux USA déjà, John Naisbit (auteur de "Megatrends", publication 1981) nous en avait notifié la tendance lourde. Des experts du Bureau du Plan belge y avait d'ailleurs conclu qu'aucun problème d'équilibre de notre sécurité sociale ou du système de "pension par répartition" n'était visible avant 2010, voire jusqu'à 2030? (scientifiquement, cela dépend du modèle et des hypothèses d'une prospective inexistante alors). Mais la hauteur de la dette publique était déjà bien là! Depuis on débat d'une perspective et de solutions plus réaliste, dans TOUS les Etats-Membres.
6) Pour conclure: quelle méthode? Au sein des institutions et des E-M. de l'U.E., une marotte consiste à jouer systématiquement le "benchmarking". C'est effectivement utile, mais encore faut-il choisir des repères pertinents. S'il s'agit d'unifier, de niveler, la pratique semble assez simple.
A contrario, lorsqu'une structure de société devrait vivre une "lente et profonde transformation" (car le contexte interne ou celui extérieur sont en état de bouleversement), ma thèse et mon vécu indiquent que la méthode de benchmarking oublie un terrible effort d'imagination à réaliser sur soi-même (= INNOVATION ORGANISATIONNELLE )! D'où ressortent sinon des risques - fort souvent constatés - d'un développement "par imitation" plutôt que cette salutaire créativité endogène. (Trop long diront encore certains, sautez donc).
Rédigé par : E.G. Simon | 11 mars 2006 à 19:02
C'est probablement l'extrême complexité et par là l'inertie du système qui a apeuré les délégations dont parle Michel Jadot. Mais encore une fois, la privatisation même partielle du secteur porte atteinte à un triple vache sacrée : psychologique d'abord (on n'imagine même pas ne pas être remboursé pour le généraliste), communautaire (la sécu est le seul dernier ciment belge) et clientéliste. Des dizaines de milliers de jobs plus ou moins sous contrôle des partis politiques sont en jeu. Les va-et-vients entre mutuelles et cabinets ministériels sont permanents.
Rédigé par : Alexis de Tocqueville | 12 mars 2006 à 11:38
Plusieurs hautes figures du cabinet Demotte comme Ri De Ridder sont maintenant "casés" à l'INAMI. Le cabinet De Galand était entièrement "mutualité socialiste". Le patron de la MS siège au Bureau du PS au même titre que le patron de la FGTB. Et le CVP et le PSC n'agissaient pas autrement. Mais informer de cela les lecteurs des journaux ne serait pas "convenable" dans le landerneau journalistique. Ce serait "poujadiste"...
Rédigé par : cedlex | 12 mars 2006 à 11:43
Je m'attendais à quelque chose de plus argumenté de la part de ce Mr Jadot, d'après la mise en bouche du dernier post de Mr Destexhe.
Ici, je lis simplement que des délégations de l'est sont venues nous rendre visite et qu'elles n'ont pas été convaincues par notre système, qu'une sorte de chauvinisme (et c'est sans doute le seul domaine dans lequel le belge est chauvin...) nous fait vendre pour le "meilleur du monde". D'ailleurs, ces gens ne sont pas des défenseurs du système social à la belge, pouvons-nous lire.
Ok. On peut dire que leur expérience communiste leur fait prendre une route toute différente, mais bon, que dire d'autre?
Est-ce la seule critique émise par Jadot?
Rédigé par : alex | 12 mars 2006 à 16:40
Notre modèle ... n'en apparaît pas un pour les nouveaux pays d'Europe que se sentent plus proches du ... modèle anglo-saxon.
Je crois qu'il y avait beaucoup d'espoir en Belgique et en France que les pays de l'Europe de l'Est adopte la retraite par répartition ou le dialogue social avec des syndicats surpuissants.
Rédigé par : Cyril | 12 mars 2006 à 21:00
Si Mr Jadot a fait peur aux délégations de l'Europe de l'Est, c'est peut-être aussi parce que, bien que connaissant les points forts de notre système de sécurité sociale, il connaissait également les points faibles de celui-ci et n'a peut-être pas voulu les cacher (il s'est toujours vanté de disposer d'une certaine liberté de parole... limitée évidemment par la particratie).
Il a réalisé différents rapports d'évaluation sur la situation de l'emploi en Belgique. "Ces rapports sont nés de sa frustation de devoir travaille dans un système fédéral qui ne lui permette pas de disposer de tous les leviers nécessaires à la politique d'emploi" (je cite une interview dans l'Echo).
Il a également initié des rapports en ce qui concerne les soins de santé, pour analyser si effectivement il y avait bien cette fameuse énorme différence de consommation de soins de santé entre les wallons et les flamands qui justifierait qu'on complexifie encore davantage notre système de soins de santé (et qui le rendrait encore moins performant).
Je ne suis pas un "Jadotiste" convaincu mais force est de constater qu'il a des positions un peu plus convaincantes qu'un FGTBiste de base ...
Rédigé par : Adam Smith | 13 mars 2006 à 13:46