Ci-dessous mon article publié sur LaLibre.be
Le Samusocial n’est que la petite partie émergée du malgoverno de Bruxelles. La future commission d’enquête devrait être le point de départ d’une réforme en profondeur des institutions bruxelloises.
L’Absurdistan bruxellois
Rappelons d’abord que la gestion de Bruxelles relève d’une aberration politico-administrative unique au monde. Une ville-région de taille modeste à l’échelle de la planète, divisée en 19 baronnies, comptant environ mille conseillers communaux ou de CPAS, 200 fonctions exécutives locales (bourgmestres, échevins ou présidents de CPAS), 89 parlementaires bruxellois (pour un million d’habitants!), sans parler de la Cocom, de la Cocof et de son équivalent flamand. Il s’ensuit un absurde et coûteux morcellement des compétences dans presque tous les domaines (police, emploi, aide aux personnes, culture, enseignement, formation professionnelle, santé, sport, stationnement, mobilité, etc). Plus personne ne s’y retrouve vraiment. La commission d’enquête annoncée sur le Samusocial nécessitera d’ailleurs un changement législatif car, touchant au social bicommunautaire, elle devra se tenir au niveau de la Cocom – dont les parlementaires sont pourtant les mêmes qu’au parlement bruxellois – et il n’y a pas été prévu la possibilité de mener à bien des enquêtes! On hésite à citer Kafka ou Ubu!
Même l'officiellement défunte « agglomération » subsiste encore au niveau fiscal, comme chaque contribuable bruxellois peut s’en rendre compte en recevant sa feuille d’impôts. Alors que des grandes villes américaines ou européennes sont gérées par des exécutifs de 4 ou 5 personnes, le collège échevinal de Bruxelles (167.000 habitants) en compte onze, et celui d’Ixelles (87.000 habitants), neuf.
Faut-il dès lors s’étonner de la faible représentativité des élus? De quelle légitimité, de quelle crédibilité dispose vraiment le nouveau bourgmestre Philippe Close, autre que celle de la particratie dont il est un pur produit, lui qui a réalisé le 6ème score de la liste PS avec…1.998 voix? Vous avez dit démocratie? Certains médias préfèrent mettre l’accent sur sa passion pour le rugby et le rock plutôt que sur son petit empire d’ASBL et ses 20 mandats (sic) en plus de ceux d’échevin, de parlementaire et de chef de groupe PS à la Région. Excusez du peu ! Dans quel monde disposer de 20 mandats relève-t-il de la bonne gestion publique? Et pourquoi, puisqu’il prétend « se consacrer à son rôle de bourgmestre » reporte-t-il sa démission du Parlement bruxellois au mois de septembre ?
Rendre transparentes les ASBL publiques
Au-delà de ce labyrinthe administratif, Bruxelles compte des centaines d’ASBL publiques, dont la gestion hermétique et opaque échappe en réalité à tout contrôle démocratique. Essayez d’obtenir la liste des ASBL de chaque commune, la composition des conseils d’administration et leurs rémunérations : mission impossible! Impossible pour la presse ou un conseiller communal qui voudrait vraiment faire son travail d’obtenir ces informations pertinentes qui ne sont données qu’au compte-goutte. L’expérience est facile à faire. En visitant les sites Internet des ASBL bruxelloises, essayez, chers lecteurs, d’obtenir les comptes, les montants des subsides, les rémunérations des administrateurs et de la direction de grosses ASBL employant parfois des dizaines, voire des centaines de personnes, comme Les cuisines bruxelloises, Bravvo ou Emergence XL. Essayez aussi pour Neo (plateau du Heysel) ou l’ASBL Brussels Expo qui brasse pourtant des millions d’euros! Quasiment aucune information n’est disponible. S’agissant du secteur public, chacun ne devrait-il pas y avoir accès en quelques clics? Et qu’en est-il des conflits d’intérêts? L’échevine de l’Instruction de Bruxelles est aussi présidente – rémunérée – des cuisines bruxelloises dont le rôle est de fournir…des repas scolaires aux enfants…des écoles bruxelloises[1].
Fusionner les zones de police
Défendant depuis longtemps l’idée d’une fusion des zones de police, je ne peux pas non plus accepter le discours sur le manque d’effectifs alors qu’une organisation plus rationnelle permettrait d’énormes économies d’échelle. De bien plus grandes villes comme Londres, Paris ou New York ne comptent qu’une seule police. Pourquoi en faudrait-il six dans la région capitale (sans parler du métro, des chemins de fer et du rôle de la police fédérale) ? Six zones de police, cela signifie 6 chefs de zone, 6 États-majors, 6 porte-paroles, 6 sites Internet, 6 marchés publics pour acheter des crayons ou des voitures, sans compter des heures de réunions de coordination inutiles et l’impossibilité de mener des politiques efficaces à l’échelle de la Région contre les phénomènes criminels (drogue, cambriolages, radicalisme, …)
Dans presque tous les domaines (mobilité, stationnement, propreté, urbanisme, administration, etc), chacun peut constater le manque d’efficacité, la complexité et l’incohérence des politiques bruxelloises. Il existe pourtant des remèdes simples, immédiatement applicables, pour soigner le mal bruxellois.
Publier les rémunérations sur Internet
En ce qui concerne les rémunérations, il suffirait d’obliger les mandataires à publier sur Internet l’ensemble de leurs mandats publics et des rémunérations et avantages (cartes de crédit, par exemple) y afférant. Cela pourrait se faire dès demain…avec un peu de bonne volonté!
Ensuite, il faut radicalement simplifier les institutions bruxelloises et réduire la voilure publique. Facile aussi…sur le papier! Diviser par deux le nombre de conseillers communaux, d’échevins et de députés bruxellois est également indispensable. Avec 4 ou 5 échevins et une vingtaine de conseillers communaux, les 19 communes seraient beaucoup mieux gérées!
Enfin, il faudrait oser mener les politiques publiques au niveau le plus adéquat : la commune ou la Région, plutôt que de créer des structures de coordination ou d’inutiles agences de simplification. Dans quelle autre grande ville européenne existe-t-il, par exemple, 19 systèmes de stationnement?
Une chose est sûre. Avec son occupation permanente du pouvoir depuis que la Région bruxelloise existe, sa colonisation toujours plus grande de l’administration, des ASBL publiques et des agences régionales, le salut bruxellois ne viendra pas du PS. Sur ces questions de gouvernance, le MR, Défi, Ecolo et le cdH devraient avoir le courage de s’entendre et de proposer une alternative radicale.
Alain Destexhe,
Co-auteur de « Comment l’État gaspille votre argent » et de « Démocratie ou Particratie : 120 propositions pour refonder le système belge »
[1] D’autres communes et CPAS sont associés, mais la ville de Bruxelles est le partenaire principal.
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