Le Journal l'Echo publie ce mardi ma tribune.
" Comment en effet ne pas s'indigner de la dégradation de notre ville et surtout de ses vieux quartiers, des menaces d'une immigration incontrôlée et de l'intolérance de certains milieux religieux musulmans, du démantèlement de nos transports en commun ou des carences graves qui frappent notre ville en matière de sécurité ou de propreté publique ? "
Charles Picqué, tract de campagne, élections du 13 décembre 1987
Avant d’être désigné comme ministre-Président de la Région Bruxelloise en 1989, pour un règne de 19 ans, Charles Picqué faisait une analyse pertinente des maux dont souffrait Bruxelles, sans langue de bois, de manière pragmatique et lucide.
Sur le plan humain, c’est indéniablement un homme affable, à l’humour bonhomme, assorti d’une gouaille bien bruxelloise, doté d’une aura médiatique plutôt unique. Il est donc très difficile de juger le bilan de l’ère Picqué sans être influencé par les qualités humaines prêtées au “Grand Charles”.
Force est cependant de constater que son analyse de 1987 sur les maux dont souffrait Bruxelles pourrait toujours s’appliquer aujourd’hui, 25 ans plus tard ! En pire. De sa responsabilité et des échecs de sa politique, vous n’entendrez que peu parler au nom du politiquement correct de bon aloi à l’occasion de son départ. Et pourtant…
Le notaire de la Région
Picqué aura, en réalité, été le notaire d’une Région Bruxelloise qui a perdu son identité et qui se complaint aujourd’hui dans une ville duale, fracturée, où le multiculturalisme a été imposé aux Bruxellois sans leur demander leur avis.
Bruxelles est gérée dans les faits par les barons locaux aux rangs desquels Picqué a toujours été le premier de cordée.
Aucune vision stratégique, aucune réforme des institutions dont la lourdeur handicape la prise de décisions, aucun projet digne de ce nom qui frappe les esprits. En réalité, Picqué aura chanté pendant 20 ans , tel le serpent Kaa, “Aie confiance” aux Bruxellois qui auront été les dindons de la farce de ses 7 péchés capitaux :
1. Une mobilité chaotique. La politique bruxelloise en matière de mobilité est une catastrophe quotidienne : la congestion devient chronique. Dix nouvelles stations de métro seulement ont été créées depuis l’avènement de Picqué alors que 50 autres avaient été réalisées avant 1989. On a préféré scinder les 2 lignes de métro en 6 pour se donner l’illusion d’un véritable réseau. Le RER annoncé depuis 25 ans ne devrait être pleinement opérationnel qu’en... 2022. Un seul “bémol” : l’instauration d’un réseau Villo (après 8 ans d’atermoiement)
2.La fourmilière institutionnelle d’une rare complexité. Pléthore d’institutions et trop de mandataires publics paralysent l’action publique. Bruxelles, c’est pour un peu plus d’un million d’habitants, 4 gouvernements, 8 ministres, dont 3 ministres-présidents, 400 attachés de cabinets, 89 parlementaires, un (vice) - gouverneur, 6 zones de police, 188 bourgmestres, échevins ou présidents de CPAS. La Wallonie plus peuplée ne compte que 75 parlementaires, Londres et Paris n’ont qu’une seule zone de police,...
3. Une pauvreté qui grimpe. Le nombre de personnes qui, à Bruxelles, bénéficient du revenu d'insertion a plus que doublé (plus de 200%) en 20 ans alors que celui-ci n’a crû que de 55% en Région wallonne et de 9% en Flandre. Si l’on prend le “revenu moyen par habitant », la Région est, depuis 1995, la moins riche du pays…
4. Un chômage endémique. Avec un taux qui est passé de 12 à près de 21%, Bruxelles compte près de 110 000 chômeurs dont 90% sont unilingues et un sur deux sans diplôme de fin de secondaire. L’échec est patent au niveau des deux “mastodontes” publics de réinsertion : Actiris et Bruxelles-Formation.
5. Un urbanisme de science-fiction, géré à la petite semaine. Aucune réalisation urbanistique marquante en 20 ans et des chantiers qui n’en finissent pas : RER, stade national, hippodrome de Boitsfort, quartier du Midi, quartier européen, Tour et Taxis, plateau du Heysel, Rogier,... Aucun projet n’a abouti dans les délais et coûts estimés. Mini Europe va être chassé et le Musée Hergé a du trouver refuge à Louvain-La-Neuve ! Seuls arbres qui cachent la forêt : le Musée Magritte (grâce à un mécénat de Suez) et l’Atomium (rénové à grands frais).
6. Une ville duale avec des quartiers ghettos. A côté des quartiers européens et de la couronne verte au Sud-Est qui tire Bruxelles vers le haut, coexiste une “autre ville” dans la première couronne, tel un château-fort abandonné, paupérisé et ghettoïsé, sans aucune mixité ni intégration à nos valeurs et notre mode de vie, avec ça et là des nids de foyers islamistes et des zones de non droit où la criminalité est galopante. Aujourd’hui ,50% des jeunes d’origine immigrée sont allocataires sociaux (chômage, CPAS, etc.). C’est l’échec le plus cuisant de Picqué.
7. Une Capitale de 3e division de l’Europe, à l’image de l’Union… Saint-Gilloise. Bruxelles se veut la capitale d’un continent et veut jouer dans la cour des grands mais se comporte comme l’Union St-Gilloise chère à Picqué. La Région ne dispose, ni d’une grande salle moderne de concert (Forest National date de 1971) ni d’une salle indoor ou d’un stade capable d’accueillir une compétition sportive internationale, comme le Sportpaleis d’Anvers.
En réalité, la Région, sous l’ère Picqué, n’a mené aucune politique de rénovation urbaine similaire à d’autres grandes villes européennes et n’a aucunement anticipé les évolutions sociologiques et le boom démographique. Sa complexité politique et administrative, et en particulier l’articulation désastreuse entre Région et communes paralyse tout projet d’envergure régionale ou européenne. Bruxelles est aujourd’hui duale avec la fracture du Canal et doit sa prospérité et sa renommée à ses habitants et à son rôle de capitale belge et européenne.
Picqué, qui “incarne si bien la zwanze bruxelloise”, aura, dans les faits, été le fossoyeur du Bruxelles qui bruxellait…
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